Eliane DELENTE

L’objet de mon étude concerne les relations rythme / sens dans la poésie métrique littéraire française du début du XVIIe à la fin du XIXe siècles, en particulier les cas d’enjambement, rejet et contre-rejet. Mon observation se base sur un corpus heuristique des œuvres de Boileau, Chénier, Hugo et Verlaine constitué par S. Ferrari (Crisco) à partir du corpus Malherbǝ de R. Renault (Crisco). Ces questions sont généralement traitées en termes de discordance entre structure métrique et structure syntaxique, et s’attachent au repérage -automatique ou non- et à l’analyse du plus petit constituant syntaxique chevauchant la frontière de vers, « la table verte » dans l’exemple suivant de Rimbaud : Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table Verte : je contemplai les sujets très naïfs Or, une approche temporelle du discours, dans la lignée des grammaires dynamiques (Chafe, 1994 ; Sinclair & Mauranen, 2006 ; Auer, Couper-Khulen, Muller (1999) ; Auer, 2009), mais aussi de certains traités de versification française (Du Gardin (1620) ; Richelet (1672) ; Mourgues (1724) ; L’abbé Batteux (1810) ; La Grasserie (1900), permet de montrer que les phénomènes répertoriés par la tradition poétique comme enjambements, rejets et contre-rejets ne sont pas spécifiques à la poésie métrique, puisqu’on les trouve aussi bien dans la conversation. Ces phénomènes mettent en évidence la planification de la pensée qui se développe dans le temps. J’étudie ainsi les contraintes qui pèsent sur le développement, et en particulier, les points de complétion potentiels des structures morpho-syntaxiques (Chafe, 1994 ; Sinclair & Mauranen, 2006 ; Auer, 2009) et la pause (Candea, 2000) comme moment d’opérations cognitives diverses. Cette approche, appliquée à la parole rythmée régulièrement -métrique-, permet de montrer que la perception-construction des formes métriques, les manières dont leur très forte prédictibilité peut s’articuler à la prédictibilité syntaxique et sémantique, plus variable, la réalisation ultérieure (satisfaction) ou non (frustration) de ces prédictions et les réajustements continuels occasionnés, sont autant d’activités qui font partie du processus interprétatif. Or, la focalisation sur le constituant syntaxique chevauchant l’entre-vers ne peut rendre compte ni du traitement temporel de ces diverses structures à l’œuvre, ni des opérations mentales dont la fin de vers constitue le moment. Mon étude touche ainsi à l’interface métrique / phonologie / morpho-syntaxe / sémantique et implique l’élaboration de corpus selon les auteurs, les époques, les genres, etc.